
Mon avocat ne m’a pas préparée.
Je ne savais pas à quoi m’attendre. Moi qui pose toujours des dizaines de questions, je ne sais pas pourquoi, cette fois, je ne lui ai rien demandé. Rien.
J’imaginais une salle feutrée, presque intime. Un endroit où l’on m’écouterait enfin, où les choses seraient claires.
Mais non.
La pièce est bondée. Des accusés. Des victimes. Des spectateurs.
Comme si ma vie était devenue un spectacle dont je n’ai jamais écrit le scénario. Je me crois dans un film.
Pourquoi ne m’a-t-il rien dit ?
J’ai une boule au ventre. Cet endroit m’est étranger. Froid. Hostile.
Je cherche celui qui m’a amenée ici. Il n’est pas là.
Seule son avocate est présente. Petite, tirée à quatre épingles, les cheveux impeccables, un sac de luxe pendu à son bras. C’est presque absurde, ce détail, au milieu de ces robes noires censées tout uniformiser.
Mais non. Le sac, les chaussures, la montre… C’est là que certaines marquent leur territoire.
J’écoute les histoires. Elles sont toutes plus sordides les unes que les autres.
Et puis, mon nom résonne.
C’est mon tour.
Je me lève, comme un automate programmé pour avancer. Je traverse la salle sous des regards impénétrables. Je prends place à la barre.
Témoigner ? Expliquer ?
Non. Être jugée.
— « Pouvez-vous me raconter ce qui s’est passé en amont ? »
Mon cerveau cherche un fil, un point de départ.
Tout a commencé bien avant ce jour-là.
Mon esprit, naturellement, repart cinq ans en arrière. Il rembobine sans que je lui demande. Comme un réflexe. Une blessure mal refermée, qui s’ouvre toute seule dès qu’on effleure la peau.
Cinq ans.
Cinq ans, c’est loin. Mais c’est encore là.
J’essaie de poser des mots sur l’inimaginable. Ça se bouscule. Ça va trop vite.
Je pense à cet homme avec qui j’ai partagé vingt-cinq ans. Celui qui a refusé notre mea culpa commun, et qui aujourd’hui se fait passer pour une victime fantôme.
Un mari. Un père. Un homme incapable de reconnaître ses actes devant nos enfants. Devant ma famille, dont il a su me couper peu à peu.
Un homme qui, après vingt-cinq ans de vie commune, a été incapable de m’affronter.
Et dans ma tête, cette phrase. Celle qu’il m’a dite en 2016, et qui ne m’a jamais quittée.
Je le revois. Son visage. Son regard. Et cette peur qui m’a glacé le ventre. Ce jour-là, il avait un couteau à la main. Et il m’a dit :
— « Toi, je vais détruire ta vie. »
Ses yeux verts virant au noir.
Et aujourd’hui, vu l’endroit où je me trouve, il faut croire qu’il a réussi.
Qu’est-ce que je fais là ?
Alors je parle. Je raconte.
L’emprise. Insidieuse. Invisible. Un piège qui se referme lentement, sans qu’on s’en rende compte.
Les mots qui blessent. Les regards qui jugent.
Les silences qui enferment.
Les coups qui détruisent.
Cette violence quotidienne qui finit par vous briser le crâne, et vous amène, des années plus tard, devant ces bancs.
Ces années de peur.
De coups camouflés.
Cette violence, retournée contre moi, par pur esprit de vengeance.
Je reprends mon souffle.
Et puis, le juge me coupe.
Sa voix claque comme une gifle.
— « Mais… vous avez compris pourquoi vous êtes là ? »
Son ton est condescendant.
Comme s’il parlait à une enfant.
Comme si je ne comprenais rien.
Comme si mes mots flottaient trop loin de leur monde.
Il se tourne vers mon avocat, excédé :
— « Maître, expliquez-lui pourquoi elle est là. Apparemment, elle n’a pas compris. »
Mon avocat se penche vers moi, agacé :
— « Il vous demande ce qui s’est passé ce jour-là. Uniquement. Le 1ᵉʳ décembre 2020 à 13 h 30. »
Un silence. Lourd. Écrasant.
Je regarde autour de moi. Et je ressens, dans chaque pore de ceux qui me jugent, leur liberté.
Leur légèreté.
La mienne est suspendue à leurs regards. À leurs cerveaux.
Le juge insiste, comme s’il énonçait une condamnation :
— « Parlez-moi uniquement du 1ᵉʳ décembre 2020. À 13 h 30. »
Comme si tout pouvait se résumer à une demi-heure.
Comme si le reste n’existait pas.
Comme si je ne pouvais pas expliquer ce qui m’a conduite là.
Comme si ce Monsieur, bien en chair, si sûr de lui, avait lu mon dossier.
Mais non. Visiblement, il ne sait pas qu’en ce jour-là, moi, j’ai encore été victime. Et que cette fois-là, je me suis défendue.
Je ne sais pas me résumer. Je ne sais pas m’expliquer sans tout expliquer.
Moi, je parle. Je décortique. J’analyse. Je cherche à comprendre.
Et face à moi : une avocate en robe noire, payée pour mentir.
Un juge pressé, qui n’a pas lu ce qu’il aurait dû savoir.
Je sens que cette audience sera difficile.
Je balaie la salle du regard. Ce n’est pas mon agresseur qui est sur le banc des accusés.
Lui a préféré briller par son absence.
C’est bien moi.
Tout est silencieux, comme dans la cabine d’un avion juste avant l’impact.
Le commandant — le juge — ne lit pas les instruments.
L’équipage — les avocats — suit son plan de vol sans regarder par le hublot.
Et moi, je suis là, sans ceinture, sans parachute.
Le sol se rapproche. Trop vite.
Je tombe de l’avion.
C’est le titre de mon histoire.
Mais personne ne veut la lire.
Ce que le ciel savait déjà
Ce que je vis dans ce récit, je l’ai aussi lu, bien après, dans mon ciel de naissance.
Je suis née sous l’énergie du Bois Yin, une force souple mais tenace, qui ne cède pas devant l’injustice. Mon BaZi montre depuis toujours une tension avec le Métal, symbole de l’autorité, des lois, des systèmes qui coupent sans écouter.
Et entre 2021 et 2025, ces forces se sont réactivées puissamment dans mon ciel :
des années métal, eau, bois — des éléments qui secouent, confrontent, ravivent ce qui n’a pas été dit.
Le Métal (辛 en 2021) est venu trancher, la Eau (壬 en 2022, 癸 en 2023) a fait remonter les blessures, et le Bois (甲 en 2024, 乙 en 2025) m’a ramenée à mon axe, à ma vérité.
Ce que je raconte ici n’est pas qu’un fait : c’est un passage de vie, une tempête karmique, un moment où mon thème céleste me poussait à parler, à me défendre, à me reconstruire.
Ce que je vis dans la matière, je l’ai vu inscrit dans l’invisible.
Et aujourd’hui, je le rends visible à mon tour.