C’est avec le cœur déchiré et les yeux pleins de larmes que j’écris ce texte.
Tu n’es pas Feng Shui.
Mais comme je t’ai aimé.
Te dire adieu est un vrai déchirement, car jamais e ma vie je n’ai imaginé cet instant. …
Depuis mes 4 ans, je jouais tous les étés sur cette plage de Carnon.
Comme un rituel, les étés se sont enchaînés dans cet appartement.
De mes 4 ans, jusqu’à mes 45 ans…puis les souvenirs et énergies présentes ont pris place.
Des souvenirs avec Stéphane, le fils de la meilleure amie de ma mère, Dany — lui qui arrachait la tête de mes poupées et qui, des années plus tard, s’est retrouvé aux commandes de la même compagnie tricolore que moi.
Des souvenirs avec mon cousin Rémi, que j’adorais.
Des souvenirs avec mes grands-parents que j’aimais profondément.
Mon grand-père, toujours assis au même endroit, sur cette digue de rochers.
Des souvenirs des premières frasques de ma sœur, et de mes parents allant la « griller » avec ses potes sur le port de Carnon, clope en main, alors qu’elle était censée faire du baby-sitting.
Mes premières amies rencontrées sur cette plage : Dédé et Bérang, encore aujourd’hui à mes côtés et dans mon cœur.
Toute la bande de potes : Sandrine, Guillaume, Stef… Stef, que j’ai retrouvé plus tard dans cette même compagnie tricolore. Nous nous connaissions si petites.
Mes premières sorties à Chappy.
Ce goût de liberté.
Moi, sur la plage, en train de convaincre mes parents de m’en acheter un.
La peur, quand je voyais lors des fortes chaleurs cette couche se former au loin, persuadée que c’était un tsunami, pendant que mes parents restaient si tranquilles, là, sur cette plage.
Le jour où ma mère me fait couper les cheveux à la garçonne, sous prétexte que ça plairait à mon père.
Et moi, cachée dans les rochers.
Carnon, ce sont les boîtes de nuit en plein air, les flirts dans les dunes, les conneries avec ma copine Bérang.
Tous ces souvenirs en remontant de la plage, les pieds pleins de sable.
Mon premier tatouage, qui m’obligeait à aller sur la plage d’à côté, et à me faire griller immédiatement par mon père qui disait à Pompon :
« J’espère que ce n’est pas un vrai… »
Carnon, c’est aussi Émilie, Lulu, Anissa, Sylvain, Fred, Patrice.
Et toi, Arnaud…
Toi qui n’avais jamais vu la mer, et moi qui t’apprenais à pêcher des crabes.
Ces repas autour de cette table de salle à manger aujourd’hui disparue.
Ces heures passées à repeindre tous les meubles avec Pompon, fières de nous, attendant la réaction de Renato — si décalée par rapport à notre investissement à toutes les deux.
Ces soirées chaleureuses sur cette petite terrasse, où les conversations se mêlent au bruit des vagues.
Puis il y a eu mes enfants.
Leurs premiers bains de mer, le sel sur leurs lèvres, leurs cris mêlés au vent.
Leurs courses sur les rochers, pieds nus, inconscients du danger, libres, vivants.
Les longues sessions de matelas, à dériver au large, à rire, à se laisser porter.
Le paddle, les heures passées à glisser sur l’eau, à observer le fond, à rentrer rincés, brûlés par le soleil, heureux.
Le souvenir de mon tout-petit de 2 ans appelant un pote « papy » un matin, parce qu’il ressemblait aux grands-pères de ses livres.
Celui de moi, annonçant sur la terrasse : « Ce doit être sympa, hôtesse de l’air, comme métier », alors que Jean-Baptiste venait d’intégrer une compagnie.
Carnon, ce sont toutes ces soirées avec les amies de mes parents, dont certains que j’aimais tant.
Carnon, c’est cette couleur magique du bord de mer.
Voir la nature changer, évoluer au fil des saisons.
Puis il y a eu les drames.
Quand tout a basculé.
Carnon, c’est la première fois que mon fils aîné a levé la main sur moi, en me plaquant contre le mur.
La première fois que son père me filme pendant qu’il me violente.
Carnon, c’est ma volonté, dès 2017, de vivre tranquille.
De refuser un homme qui me gifle sous mon toit.
Carnon, c’est Renato qui, se pensant bienveillant, me renvoyait toujours cet homme vers moi, pour qu’on puisse manger avec le peu qu’il travaillait.
Carnon, c’est la fatigue de ma mère.
Chaque été n’était pas des vacances.
Nourrir tout ce petit monde, faire le ménage, pendant que nous mettions tous les pieds sous la table et partions vite à la plage — dont elle profitait si peu.
Carnon, ce sont les longues balades sur la plage, à ramasser coquillages et bois blanchi après les tempêtes.
Carnon, c’est la première déchirure avec ma mère.
Un objet de chantage et de domination.
Carnon, c’est cette phrase que mon père m’a répétée toute sa vie :
« Carnon, c’est pour vous. Tu auras toujours un toit sur la tête. Et c’est pour tes enfants. »
Carnon, j’y ai vécu chaque été.
D’abord avec mes parents.
Puis seule avec ma famille, pour faire les marchés et occuper l’appartement en saison.
Carnon, c’est ma première saison et les autres. Ce marché que j’aimais tant. Ce petit port à observer les bateaux.
Puis j’y ai vécu en attendant de trouver une maison.
Moi qui disais toujours, comme mon père :
« Ce doit être ennuyeux de vivre ici à l’année, c’est une station balnéaire… »
Et pourtant, j’ai tellement aimé cette proximité avec l’eau, avec l’élément naturel.
Tellement aimé que je disais sans cesse à mon mari :
« Un jour, promets-moi, on finira notre vie face à la mer. »
C’est mon élément.
Quand j’ai vraiment connu la galère, Carnon restait ma petite porte de sortie.
Jusqu’à ce jour où j’ai osé l’impensable, trop prise à la gorge : ouvrir seule cet appartement.
On connaît la suite.
L’histoire est dans mon livre.
Chaque été depuis 2020, je retourne sur cette plage.
Je vais voir mon amie.
Je me pose toujours au même endroit, depuis quarante ans.
Je revois mon papy.
Mon père, avec qui je venais si souvent, seule.
Mon père qui aimait tant cet appartement.
Quand je n’ai plus été stable dans mon lieu de vie, j’ai demandé à le louer.
On m’a toujours refusé l’accès. Toujours.
Même mon paddle a été vulgairement volé par ma famille, donné à un copain de mon fils aîné.
Chaque été, je vois cet appartement vide.
Les volets baissés.
Occupé une semaine par an.
Chaque été, ça me rend malade.
Mes enfants y ont passé toutes leurs vacances.
Et mon petit s’est retrouvé, du jour au lendemain, sans sa pelle, sans son épuisette, sans la mer.
J’ai voulu en sortir en demandant à racheter mes parts.
Je n’imaginais même pas que ma mère puisse vendre.
Racheter mes parts, ce n’était pas vendre l’appartement.
On m’a ri au nez.
On m’a dit : « C’est MON appartement, et j’en fais ce que JE veux. »
Une précarité familiale.
Un mauvais mariage.
Un mauvais divorce.
Une perte de travail après vingt-deux ans.
De mauvais choix.
Et vous êtes bannie. Punies à vie. Rejetée comme une criminelle.
On demande alors à votre fils aîné ou à votre sœur de vous jeter de cet appartement quand vous ne savez plus où aller.
On vous retire les clés.
On vous fait comprendre qu’au grand jamais, vous n’y vivrez.
Le silence s’installe. Des mois. Des années.
Puis un jour, une reprise de contact. Comme si tout redevenait normal.
Trois mois plus tard, l’annonce tombe : « Elle veut vendre Carnon. Tu peux en avoir 50 000 €. »
Le deal était simple : vendre, ou louer à un pur étranger.
Alors que je galérais déjà. Alors que mes enfants avaient grandi ici. Alors que je voyais d’autres enfants en profiter.
Ma situation financière utilisée comme un levier. « Elle n’aura pas le choix que d’accepter. »
C’est une forme de prostitution. Vendre une vie entière en échange de quelques euros.
Vendre quarante ans de souvenirs. Vendre une promesse de père.
Tout ça pour satisfaire deux egos blessés.
Je n’en reviens pas de le laisser.
Dès que j’y pense, les larmes envahissent mon corps et je les laisse couler.
Ça va passer. Un jour.
Non, Renato. Cet appartement n’est pas pour nous.
Ni pour moi. Ni pour mes enfants.
Avec cet argent, je paierai les soins médicaux de mon enfant TDAH, qui a besoin d’un suivi.
Je l’emmènerai en vacances.
Mais je n’aurai jamais ce toit.
Ce toit que tu m’as promis pendant quarante ans.
Ce toit que je croyais acquis.
Ce toit qui devait protéger mes enfants-et moi.
En un battement de cœur, il s’est envolé à jamais.
Avec tous nos souvenirs.
Une fois encore, je tombe de l’avion. Adieu, Carnon.



